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Virus, volatility and value

La réaction très rapide des gouvernements à la crise du coronavirus a empêché une vague de dépôts de bilan. Si le confinement ne dure pas trop longtemps et que le soutien monétaire et budgétaire apporté pendant cette période est suffisant pour éviter une cascade de faillites, l’économie pourrait connaître une reprise assez forte et rapide. Néanmoins, la pandémie va constituer un point d’inflexion dans notre vie et dans notre manière de penser.

23 juin 2020

Entretien avec Michael Strobaek

Global Chief Investment Officer de Credit Suisse AG

Quelles évolutions ou réactions vous ont le plus surpris sur les marchés des valeurs après que la pandémie s'est déclarée?

C’est la rapidité de leur effondrement qui a été la plus surprenante. L’indice S&P 500 a accusé la correction la plus fulgurante jamais enregistrée, non la plus forte, mais la plus rapide. Les investisseurs n’ont guère eu le temps de réagir. Ce qui m’a également étonné, c’est la célérité avec laquelle les gouvernements ont réussi à ficeler des paquets d’aides. Et s’ils ont réagi ainsi, c’est parce qu’ils ont très bien compris le mécanisme de la crise: du fait du confinement, les entreprises et les ménages enregistrent des pertes de revenus, car les commerces et les usines ferment. Mais comme ils doivent continuer à supporter des charges, ils souffrent assez vite d’un manque de trésorerie. Les gouvernements ont donc mis des liquidités à disposition très rapidement, ce qui est un bon signe. Je pense que cette capacité à agir vite est l’une des leçons qu’ils ont tirée de la crise financière de 2008.

On s’attend à ce que l’économie mondiale se contracte considérablement en 2020. Quels sont les principaux facteurs qui permettraient d’éviter une crise prolongée?

Nous tablons sur un recul du produit intérieur brut mondial de 3,6% en 2020, principalement en raison de l’effondrement massif de l’économie au deuxième trimestre, lequel va plomber la croissance moyenne sur l’ensemble de l’année, même si nous nous attendons à une forte reprise aux troisième et quatrième trimestres. Nous estimons que les dispositions de politique budgétaire et monétaire annoncées jusqu’à présent sont suffisantes pour éviter une dépression. Comme les mesures de confinement s’assouplissent, nous pensons que la croissance pourrait redémarrer relativement vite, à condition bien sûr que la propagation du virus soit enrayée et qu’une deuxième vague d’infections reste maîtrisable. Il faut également que les mesures de soutien soient suffisantes pour endiguer une cascade de faillites. Si les entreprises parviennent à surmonter le confinement, les commerces et les usines rouvriront et l’activité économique pourra se normaliser. Toutefois, si des sociétés déposent le bilan pendant la crise, il n’y aura pas de retour à la normale et nous pourrions connaître une crise économique prolongée. La croissance est grippée pour l’instant, mais un ensemble de mesures appropriées devrait permettre d’éviter que le marasme ne s’installe dans la durée.

Pensez-vous que les entreprises réorganiseront leurs chaînes d’approvisionnement après la crise du coronavirus pour les rendre plus résistantes à de telles circonstances, même si les coûts en résultant pèsent sur leurs bénéfices et les cours de leurs actions?

Oui, je le crois. Il suffit de penser à la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, ainsi qu’aux droits de douane introduits l’année dernière. La pandémie accélère ce processus à présent.

Les banques centrales poursuivaient une politique monétaire extrêmement souple depuis plusieurs années lorsque la crise du coronavirus a éclaté. À présent, elles injectent davantage de liquidités dans l’économie. Comment pourrait ou devrait se passer un «retour progressif à la normale»?

Les injections de liquidités sont des mesures temporaires qui pourront être interrompues dès que l’activité économique se normalisera. Il en va autrement du niveau général des taux d’intérêt et du volume des bilans des banques centrales. À cet égard, nous avons vu que, même après de nombreuses années, ces bilans sont tellement gonflés que les banques centrales n’ont pas pu relever leurs taux, à l’exception de la Fed. Nous distinguons plusieurs facteurs susceptibles de rendre une «normalisation» improbable. Le premier, c’est l’évolution démographique: le vieillissement des populations induit un recul des taux de croissance et des taux d’intérêt d’équilibre nominaux. Le deuxième est l’endettement. En cas de hausse de la dette publique, il est nécessaire de maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas pour maîtriser le coût du service de la dette. C’est pourquoi nous pensons que les mesures d’urgence prendront fin relativement vite, dès que la phase aiguë de la crise aura été dépassée. Nous nous attendons néanmoins à ce que les taux d’intérêt restent bas longtemps encore et à ce que les bilans des banques centrales ne diminuent pas fortement.

"Les gouvernements ont mis des liquidités à disposition très rapidement, ce qui est un bon signe. Je pense que cette capacité à agir vite est l’une des leçons qu’ils ont tirée de la crise financière de 2008."

Dans quelle mesure le Global CIO Office a-t-il modifié la collecte et le traitement des informations depuis le début de la pandémie?

À mon avis, nos processus ont été dès le début à la hauteur des défis posés par la pandémie. La diversification de notre organisation internationale nous a permis de travailler de manière très rapide et consciencieuse. Et nous en tirons profit dans la présente crise.

Toute crise a également ses gagnants. Quels secteurs et sous-traitants figurent parmi eux?

Parmi les grands gagnants de la crise actuelle du coronavirus figurent les entreprises numériques, c’est-à-dire celles qui permettent l’échange d’informations, les conférences vidéo, le vidéo-streaming, etc. Les magasins en ligne et d’autres prestataires similaires tirent eux aussi leur épingle du jeu. En outre, nous avons identifié des actions «restez à la maison», qui devraient bien performer dans l’environnement actuel. Il s’agit par exemple de titres de fournisseurs de jeux en ligne. La tendance générale à la numérisation est l’un des thèmes de placement à long terme particulièrement convaincants que nous avons identifiés dans nos Supertrends et qui modifient le comportement humain et le fonctionnement des sociétés. Ces thèmes couvrent entre autres les domaines des infrastructures, de la santé, du changement climatique et du développement durable. Nous estimons que la pandémie va constituer un point d’inflexion dans notre vie et dans notre manière de penser. Certains des possibles changements futurs sont dans la ligne de mire des Supertrends.

Le potentiel de gain n’est-il pas déjà pris en compte dans ces actions?

Bien sûr, ces branches affichent déjà des valorisations supérieures à celles du marché, mais nous pensons que cette prime est justifiée puisqu’elles enregistrent des taux de croissance à deux chiffres. Nous pensons d’ailleurs qu’elles continueront à afficher une dynamique supérieure à la moyenne à l’avenir également et qu’elles pourront donc maintenir leurs surperformances.

Comment évaluez-vous les perspectives de l’immobilier en Suisse et sur d’autres marchés?

Nous estimons que les perspectives sont globalement bonnes pour l’immobilier, car il dégage un rendement, une chose que les investisseurs peinent de plus en plus à trouver dans l’environnement actuel de taux bas. En raison de la tendance à la numérisation, certains segments comme l’immobilier du commerce de détail sont confrontés à de grands défis mais, de manière générale, nous nous attendons à ce que ce secteur continue de générer des rendements globaux positifs.

Les six principes de placement

Après le choc pétrolier, le moment est-il venu de pondérer plus fortement les matières premières? Quels sont les principaux signaux d’achat?

Nous avons en effet opté pour une surpondération des matières premières. Les prix sont vraiment au sous-sol actuellement, notamment sur le marché du pétrole, lequel a accusé une forte correction en raison de la guerre des prix que se sont déclarée les membres de l’OPEP et la Russie en pleine crise du coronavirus. La demande s’est effondrée, car les voyages et les transports ont été massivement limités. Parallèlement, l’offre était abondante, car les grands producteurs se disputaient des parts de marché. Le fait que les belligérants aient finalement conclu un accord sur la réduction de la production est un premier pas dans la bonne direction. Par ailleurs, la baisse des taux d’intérêt réels intervenue pendant la crise a été bénéfique pour l’or et d’autres métaux précieux. Nous pensons que les cours du pétrole et des matières premières pourraient s’élever par rapport à leurs niveaux actuels.

Les investisseurs capables d’éviter les taux d’intérêt négatifs aiment bien proclamer que «le cash est roi». Que leur répondriez-vous?

Pendant une crise des liquidités, il se peut que le cash soit la première option retenue. À long terme toutefois, il n’aide pas les investisseurs à atteindre leurs objectifs financiers. En effet, les intérêts servis sur les liquidités sont proches de zéro ou négatifs dans la plupart des monnaies principales.

La correction sur les marchés des actions s’est effectuée par vagues. La reprise se déroulera-t-elle de la même manière?

Oui, je le pense. Il est peu probable que la reprise économique suive une trajectoire uniforme, car ce type de choc génère de très mauvaises données économiques qui sont souvent peu fiables. Et il est devenu pratiquement impossible de prédire l’évolution future. Je suis néanmoins convaincu que les mesures de soutien annoncées jusqu’à présent dans le monde entier permettront d’éviter une dépression économique. Nous sommes progressivement revenus sur les marchés après leur forte correction. En procédant à des achats modérés, nous avons renoué avec une surpondération des actions fin mars et des obligations d’entreprise en avril. Une large diversification est primordiale, même sur le plan régional et sur celui des horizons temporels.

Terminons par la question à cent mille euros: la reprise aura-t-elle une forme de V, de U ou même de W?

On accorde peut-être une importance exagérée à la forme de la reprise par rapport à celle du choc. Si le confinement ne dure pas trop longtemps et que le soutien monétaire et budgétaire apporté pendant cette période est suffisant pour éviter une vague de faillites parmi les ménages et les entreprises, l’économie pourrait connaître une reprise assez forte et rapide. Par exemple, si un restaurateur doit mettre la clé sous la porte pendant le confinement, son activité est perdue pour l’économie tant qu’il maintient son établissement fermé. Mais dès que les mesures restrictives sont assouplies, il peut rouvrir son restaurant et accueillir rapidement, espérons-le, autant de clients qu’avant la crise. Certains achats de consommation qui ont été différés pendant le confinement pourront être réalisés ultérieurement dans le courant de l’année. Tout cela parle en faveur d’une reprise en V. Le temps est néanmoins le principal facteur d’incertitude dans cette évaluation. Une croissance économique faible sur une période prolongée pourrait causer des dommages structurels. Plus le confinement dure, plus l’économie réelle aura besoin de soutien pour pouvoir retrouver une certaine normalité et finir par se redresser. Les gouvernements semblent néanmoins comprendre l’urgence de la situation, de sorte qu’on peut espérer une reprise de la croissance mondiale au troisième trimestre.

Michael Strobaek

Dans le dernière édition de «Scope»: 

La gestion des actifs connaît un profond changement – induit par les innovations disruptives – qui se serait poursuivi même sans la crise du COVID-19. Suite à cette pandémie, le rythme de ce changement devrait s’accélérer étant donné qu’à l’échelle mondiale, les défis se sont encore multipliés.

Les points de vue et opinions exprimés dans cet article sont ceux de l'auteur (des auteurs) et ne représentent pas les vues du Credit Suisse. Les hypothèses formulées dans l'article ne reflètent pas la position du Credit Suisse et peuvent être contraires à celle du Credit Suisse.